Les deux temps de la Révélation dans l’économie divine
En introduction de notre réflexion sur l’Économie Divine nous souhaitons présenter ici un point important de la théologie chrétienne, important et pourtant assez méconnu ou incompris, même chez certains théologiens et exégètes catholiques : il s’agit de la différence entre les temps de l’inspiration et de l’assistance de l’Esprit Saint. De cette réflexion nous poserons quelques réflexions pratiques sur le statut des langues bibliques.
Distinction entre inspiration et assistance de l’Esprit Saint
Afin d’introduire au mieux la distinction entre inspiration et assistance de l’Esprit laissons la parole à l’un des Pères du Concile Vatican II, le dominicain Yves Congar :
[…] Parmi les hommes chacun joue son jeu, mais Dieu joue dans le jeu même des hommes, il joue du jeu même des hommes. Il est en effet assez haut, assez souverain, pour faire arriver ce qu’il veut par le moyen et le jeu même des libertés laissées à leur propre mouvement. Théologiquement, son action s’appelle ici « assistance ». On la distingue de l’ « inspiration », celle des Prophètes ou de saint Paul, par exemple, Dieu meut les facultés de son messager sans les violenter, en les conduisant du dedans. Cependant, il y intervient d’une façon positive et comme au delà d’elles-mêmes, il y apporte quelque chose qui n’est pas de l’homme. Dans l’assistance, il laisse les hommes à leurs ressources, astreints à la nécessité de chercher et de s’informer ; il mène seulement le jeu de telle façon que, finalement, ce que les hommes ont trouvé, excogité, formulé, soit affecté de sa garantie, qui est celle de la vérité absolue.
Le temps de l’inspiration
Tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître.
Tout a été révélé par le Christ. Avec sa venue la Révélation connaît un achèvement. L’Église considère que l’inspiration de l’Esprit s’arrête à la mort des derniers témoins directs accrédités, c’est-à-dire à la mort du dernier apôtre, et non pas à la rédaction du dernier livre reconnu comme inspiré : nous ne sommes pas une religion du livre mais de la Parole, Parole Révélée à une communauté de croyants qui consignèrent par écrit leur expérience de Dieu.
Ce que le Christ a confié aux apôtres, ceux-ci l’ont transmis par leur prédication et par écrit, sous l’inspiration de l’Esprit Saint, à toutes les générations, jusqu’au retour glorieux du Christ.
Conséquence pour le statut des Écritures : le texte hébreu est reconnu comme une référence dans l’inspiration, mais la Septante l’est aussi : étant sous le régime de l’inspiration elle ne peut être reconnue comme une simple traduction du texte hébreu.
L’utilisation d’Isaïe 7 par le NT est l’exemple type de ce qui fut considéré par les premiers chrétiens comme une avancée de la Septante par rapport au texte hébreu dans le donné révélé :
C’est pourquoi le Seigneur lui‐même vous donnera un signe : Voici, la jeune femme est enceinte, elle va enfanter un fils et elle lui donnera le nom d’Emmanuel.
C’est pourquoi le Seigneur lui‐même vous donnera un signe : Voici, la vierge (παρθένος) est enceinte, elle va enfanter un fils et elle lui donnera le nom d’Emmanuel.
Nous voyons ici que la prophétie portant sur une jeune femme dans le texte hébreux se modifie pour devenir une prophétie sur une vierge dans le texte grec, les chrétiens des premières générations exploiteront ce type d’avancée du Donné Révélé, à commencé par le Nouveau Testament, en l’occurrence ici saint Matthieu :
Voici que la vierge (παρθένος) concevra et enfantera un fils, et on l’appellera du nom d’Emmanuel, ce qui se traduit : « Dieu avec nous ».
Le temps de l’assistance
Quand l’Esprit de vérité sera venu, il vous guidera dans toute vérité
S’il n’y a désormait plus rien à ajouter, plus de progrès à attendre de la Révélation quand au donné révélé, un progrès est légitimement attendu dans la compréhension de ce donné, autrement dit dans la compréhension du dogme. Mettre l’intelligence au service de la foi est même un appel de Dieu sur l’Église, et pour cela l’Esprit Saint lui a été donné en assistance (Jn 16, 13). Après la mort du dernier apôtre l’Église passe donc sous le régime de l’assistance de l’Esprit.
Cette Tradition qui vient des Apôtres progresse dans l’Église, sous l’assistance du Saint-Esprit ; en effet, la perception des réalités aussi bien que des paroles transmises s’accroît, soit par la contemplation et l’étude des croyants qui les méditent en leur cœur (cf. Lc 2, 19.51), soit par l’intelligence intérieure qu’ils éprouvent des réalités spirituelles, soit par la prédication de ceux qui, avec la succession épiscopale, ont reçu un charisme certain de vérité. Ainsi l’Église, tandis que les siècles s’écoulent, tend constamment vers la plénitude de la divine vérité, jusqu’à ce que soient accomplies en elle les paroles de Dieu.
Conséquence sur le statut des traductions postérieures à l’inspiration : la traduction latine de la Vulgate, élaborée au IVème siècle, ne peut prétendre au statut d’écrit inspiré, bien qu’elle ait une place particulière dans la tradition latine pour avoir été utilisée comme texte de référence dans le monde latin durant des siècles.
Conclusion
De ce bref parcours nous voyons que nous pouvons tirer des conclusions importantes sur le statut des langues scripturaires : si nous prenons le problème avec suffisamment de hauteur la question de savoir si le texte hébreu doit être préféré à celui de la Septante est un faux problème. Nous ne sommes pas une religions du livre mais de la Parole, et cette Parole s’est adressée à une communauté ecclésiale qui a consignée sa tradition par écrit sous le régime de l’inspiration de l’Esprit, puis a discerné ces livres en les reconnaissant ou non comme inspirés grâce à l’assistance de l’Esprit Saint. Et nous ne parlons pas ici seulement du canon du Nouveau Testament mais bien aussi de celui de l’Ancien Testament. En effet, bien que fixé par la communauté juive celui-ci se devait d’être validé, même implicitement, par les premières Églises chrétiennes.
Annexes de citations
Loin de prétendre à l’exhaustivité voici un choix de citations doctrinales sur le sujet que nous proposons en sus de celles de notre article. La plupart son tirées de Dei Verbum :
Cette Révélation donnée pour le salut de toutes les nations, Dieu, avec la même bienveillance, a pris des dispositions pour qu’elle demeure toujours en son intégrité et qu’elle soit transmise à toutes les générations. C’est pourquoi le Christ Seigneur, en qui s’achève toute la Révélation du Dieu très haut (cf. 1 Co 1, 30 ; 3, 16-4, 6), ayant accompli lui-même et proclamé de sa propre bouche l’Évangile d’abord promis par les prophètes, ordonna à ses Apôtres de le prêcher à tous comme la source de toute vérité salutaire et de toute règle morale, en leur communiquant les dons divins. Ce qui fut fidèlement exécuté, soit par les Apôtres, qui, par la prédication orale, par leurs exemples et des institutions, transmirent, ce qu’ils avaient appris de la bouche du Christ en vivant avec lui et en le voyant agir, ou ce qu’ils tenaient des suggestions du Saint-Esprit, soit par ces Apôtres et par des hommes de leur entourage, qui, sous l’inspiration du même Esprit Saint, consignèrent par écrit le message du salut.
Mais pour que l’Évangile fût toujours gardé intact et vivant dans l’Église, les Apôtres laissèrent pour successeurs des évêques, auxquels ils « remirent leur propre fonction d’enseignement ». Cette sainte Tradition et la Sainte Écriture de l’un et l’autre Testament sont donc comme un miroir où l’Église en son cheminement terrestre contemple Dieu, dont elle reçoit tout jusqu’à ce qu’elle soit amenée à le voir face à face tel qu’il est (cf. 1 Jn 3, 2).
La sainte Tradition et la Sainte Écriture sont donc reliées et communiquent étroitement entre elles. Car toutes deux, jaillissant de la même source divine, ne forment pour ainsi dire qu’un tout et tendent à une même fin. En effet, la Sainte Écriture est la Parole de Dieu en tant que, sous l’inspiration de l’Esprit divin, elle est consignée par écrit ; quant à la sainte Tradition, elle porte la Parole de Dieu, confiée par le Christ Seigneur et par l’Esprit Saint aux Apôtres, et la transmet intégralement à leurs successeurs, pour que, illuminés par l’Esprit de vérité, en la prêchant, ils la gardent, l’exposent et la répandent avec fidélité : il en résulte que l’Église ne tire pas de la seule Écriture Sainte sa certitude sur tous les points de la Révélation. C’est pourquoi l’une et l’autre doivent être reçues et vénérées avec un égal sentiment d’amour et de respect.
La charge d’interpréter de façon authentique la Parole de Dieu, écrite ou transmise [15], a été confiée au seul Magistère vivant de l’Église [16] dont l’autorité s’exerce au nom de Jésus Christ. Pourtant, ce Magistère n’est pas au-dessus de la Parole de Dieu, mais il est à son service, n’enseignant que ce qui a été transmis, puisque par mandat de Dieu, avec l’assistance de l’Esprit Saint, il écoute cette Parole avec amour, la garde saintement et l’expose aussi avec fidélité, et puise en cet unique dépôt de la foi tout ce qu’il propose à croire comme étant révélé par Dieu.
Les réalités divinement révélées, que contiennent et présentent les livres de la Sainte Écriture, y ont été consignées sous l’inspiration de l’Esprit Saint. Notre sainte Mère l’Église, de par la foi apostolique, tient pour sacrés et canoniques tous les livres tant de l’Ancien que du Nouveau Testament, avec toutes leurs parties, puisque, rédigés sous l’inspiration de l’Esprit Saint (cf. Jn 20, 31 ; 2 Tm 3, 16 ; 2 P 1, 19-21 ; 3, 15-16), ils ont Dieu pour auteur et qu’ils ont été transmis comme tels à l’Église elle-même. Pour composer ces livres sacrés, Dieu a choisi des hommes auxquels il a eu recours dans le plein usage de leurs facultés et de leurs moyens, pour que, lui-même agissant en eux et par eux, ils missent par écrit, en vrais auteurs, tout ce qui était conforme à son désir, et cela seulement.
Dès lors, puisque toutes les assertions des auteurs inspirés ou hagiographes doivent être tenues pour assertions de l’Esprit Saint, il faut déclarer que les livres de l’Écriture enseignent fermement, fidèlement et sans erreur la vérité que Dieu a voulu voir consignée dans les Lettres sacrées pour notre salut. C’est pourquoi « toute Écriture inspirée de Dieu est utile pour enseigner, réfuter, redresser, former à la justice, afin que l’homme de Dieu se trouve accompli, équipé pour toute œuvre bonne » (2 Tm 3, 16-17 grec).
En conséquence, après un très soigneux examen et après avoir pris l’avis des Révérends Consulteurs, les Éminentissimes et Révérendissimes Cardinaux Inquisiteurs généraux en matière de foi et de mœurs ont jugé qu’il y avait lieu de réprouver et de proscrire les propositions suivantes comme elles sont réprouvées et proscrites par le présent Décret général : […] XXI. – La Révélation qui constitue l’objet de la foi catholique n’a pas été complète avec les Apôtres.