Tout ce que nous aimons en vue de nous en nourrir, nous l’aimons en vue de la détruire et de nous refaire. Serait-ce ainsi qu’il faut aimer les hommes, comme s’ils étaient à détruire ? – Il y a un autre amour, amour de bienveillance, qui nous porte enfin à obliger ceux que nous aimons. – Mais s’il n’y a rien en quoi nous puissions les obliger ? – À elle seule la bienveillance contente qui aime.
Nous ne devons point, en effet, souhaiter qu’il y ait des malheureux pour nous permettre d’accomplir des œuvres de miséricordes. Tu nous donnes du pain à qui a faim : mais mieux vaudrait que nul n’ait faim, et que tu ne donnes à personne. Tu habilles qui est nu : si seulement tous étaient vêtus, et qu’il n’y eût point telle nécessité ! Tu ensevelis qui est mort : vienne enfin la vie où personne ne meure ! Tu mets d’accord les parties en litige : qu’enfin soit la paix éternelle, la paix de Jérusalem où nul n’est en désaccord ! Tous ces services, en effet, répondent à des nécessités. Supprime les malheureux : c’en sera fait des œuvres de miséricorde. – C’en sera fait des œuvres de miséricorde : le feu de l’amour s’éteindra-t-il donc ? – Plus authentique est l’amour que tu portes à un heureux que tu ne peux en rien obliger ; plus pur sera cet amour, et bien plus franc. Car si tu obliges un malheureux, peut-être désires-tu t’élever en face de lui, et veux-tu qu’il soit au-dessous de toi, lui qui t’a provoqué à bien faire. Lui s’est trouvé dans le besoin ; toi tu lui as fait part de tes ressources. Parce que toi tu l’as obligé, tu parais en quelque sorte plus grand que lui, l’obligé. Souhaite qu’il soit ton égal : ensemble soyez soumis à Celui qui ne peut être l’obligé de personne.