Le rapport entre le Donné Révélé et la vie spirituelle du chrétien
Le Christ Vérité : les livres dogmatiques
Au diacre Philippe qui lui demandait s’il comprenait le passage d’Isaïe, relatif au Messie, qu’il lisait, l’eunuque de la reine de Candace répondait :
Comment le pourrais-je sans le secours de quelqu’un ? (Actes 8, 31)
Les saintes Écritures ont besoin en effet d’un commentaire, et non seulement d’un commentaire qui explique le sens des mots, mais de ce commentaire plus large et plus profond qui explicite le Christ lumière qui y est contenu. C’est le rôle de la théologie, qui analyse, met en lumière, coordonne et expose les vérités révélées.
Le magistère infaillible de l’Église définit les vérités les plus importantes pour les imposer à notre foi, tandis que le théologien poursuit inlassablement son travail sur la révélation, afin de faire jaillir de son mystère pour notre intelligence des clartés nouvelles et de la traduire en formules plus précises. Dogmes définis et vérités théologiques expriment la lumière du Verbe en termes humains et analogiques. C’est par l’adhésion que nous leur donnons que notre foi remonte au Verbe Lui-même et l’atteint. Nous avons déjà dit la nécessité de cette adhésion à la formule dogmatique et de l’étude de la vérité, spécialement au début de la vie spirituelle. Il nous suffira d’indiquer comment il faut conduire l’étude de la vérité dogmatique en vue de l’oraison.
1. La première qualité à exiger est l’orthodoxie. Seule la vérité, dont l’Église est la gardienne et la dispensatrice, peut donner à l’âme la nourriture substantielle et l’appui ferme dont elle a besoin pour aller à Dieu. Au contraire une erreur théologique même portant sur des points de détail, peut entraîner de notables écarts dans la conduite. Sainte Thérèse se déclare impuissante à dire le mal que lui ont fait certaines assurances erronées des demi savants. En fait, nombre de mouvements spirituels ont été égarés par des expériences spirituelles mal ou insuffisamment éclairées.
La préoccupation sur ce point doit aller jusqu’au scrupule. Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus refusa de continuer la lecture d’un ouvrage lorsqu’elle apprit que l’auteur n’était pas soumis à son évêque.
2. Il sera excellent pour le débutant dans les voies spirituelles, quelle que soit sa culture générale et religieuse, d’aller à des livres de doctrine à forme très simple, le catéchisme par exemple, dont les formules dépouillées laissent à la vérité toute sa force. C’est qu’en effet la foi progresse en pénétrant profondément dans la vérité qui est son objet, et non en s’épanchant sur les beautés du verbe humain, si bien qu’à la foi vive les artifices littéraires et la verbosité apparaissent obstacles qui arrêtent son élan, écorce gênante qui lui dissimule son trésor. L’expression la plus simple est habituellement le miroir le plus pur des clartés du Verbe divin [1].
3. Cette recherche de la simplicité et cette marche de la foi en profondeur ne doivent pas limiter le progrès en extension. Chaque dogme est un rayon qui émane du Verbe divin. Nous n’avons le droit d’en négliger aucun, car, outre les richesses de lumière et de grâce que chacun nous apporte, c’est dans la synthèse vivante de l’ensemble que le regard affectueux trouve la plus exacte expression du Verbe Lui-même.
4. Il n’est pas rare qu’un dogme soit source de grâce particulière pour une âme et qu’il lui offre son sillage lumineux comme une voie nettement caractérisée pour aller à Dieu. Une telle lumière doit être recueillie précieusement. Quelle que soit la culture de l’âme, elle doit creuser cette vérité par une étude approfondie, pour en extraire toute la substance nourrissante.
De même il ne faut pas résister à ce mouvement qui porte les théologiens et les fidèles d’une époque vers tel ou tel dogme particulier, comme le dogme de l’Église et les privilèges de la maternité divine en notre temps. Ce serait s’exposer à résister à l’Esprit Saint qui guide l’Église et lui procure à toutes les époques de son histoire la lumière adaptée à ses besoins.
5. On le voit, la culture dogmatique de l’âme d’oraison doit être à la fois étendue et profonde. C’est ordinairement la culture générale, ou encore les besoins particuliers de la grâce dans l’âme, qui en détermineront la mesure. Ces besoins pourront être différents aux diverses périodes de la vie spirituelle. Une sage direction les déterminera ; il n’est pas rare que pour une âme fidèle Dieu y pourvoie lui-même par des circonstances providentielles [2].
Les ouvrages de vulgarisation théologique sont nombreux à notre époque et facilitent d’autant la culture dogmatique. On ne peut que s’en louer et les utiliser, à la condition qu’on les choisisse adaptés à sa culture générale et à ses besoins, et qu’on ne s’égare point dans la multiplicité.
Chaque fois que cela sera possible, on gagnera à aborder le prince de la théologie lui-même, saint Thomas d’Aquin, dont le verbe plein et sobre offre à qui sait en percer l’écorce la forte nourriture des profondeurs du dogme.
Enfin la lecture des Pères de l’Église, ces grands maîtres qui étaient à la fois des théologiens et des contemplatifs, nous place aux sources les plus pures de la science sacrée et de la vie chrétienne.
[1] L’expression la plus simple dont nous parlons sera, non la plus banale ou la moins imagée, mais celle qui disparaît en quelque sorte elle-même pour mettre en relief la vérité qu’elle exprime.
[2] Cette action providentielle apparaît nettement dans la vie de saint Jean de la Croix. Le saint va à Durvelo après avoir fait de fortes études à l’université de Salamanque. Son rude apprentissage de la vie carmélitaine contemplative terminé, après avoir organisé le noviciat à Pastrana, il revient aux études comme recteur du collège théologique d’Alcala ; il y fait des provisions de lumière pour le long silence fécond d’Avila (1572-1577) qui se terminera dans la prison de Tolède. Parvenu au mariage spirituel et ayant retrouvé ses forces physiques, il est le recteur du collège de Naeza et les professeurs de l’université viennent fréquemment au couvent. Ce nouveau contact avec la vérité dogmatique prépare la période de fécondité littéraire qui a donné tous les grands traités du saint.