Isaïe énumère sept esprits ou plutôt sept formes de l’Esprit de Dieu qui reposent sur le Messie « esprit de sagesse et d’intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de science et de piété, et la crainte de Dieu » [1]. La théologie, à la suite de Saint Thomas, a vu dans ce septenaire sacré à la fois la plénitude de l’Esprit divin qui repose sur le Christ et l’énumération de sept dons du Saint Esprit distincts.
La distinction des dons, comme celle des vertus, repose sur la distinction de leur objet propre :
- Le don de sagesse pénètre dans les vérités divines non pour dissiper leur obscurité essentielle, mais pour les savourer grâce à l’union sympathique et cordiale que crée la charité.
- Le don d’intelligence, don d’intuition pénétrante du divin, donne le sens du divin à travers les objections et obstacles qui le dissimulent, maintient l’âme paisible sous la clarté aveuglante du mystère et fait briller des lumières distinctes sur les objets secondaires de la foi, à savoir ce qui est ordonné à la manifestation du mystère, à sa crédibilité et à sa vertu régulatrice des mœurs.
- Le don de science éclaire les choses créées dans leurs rapports avec la vérité divine, et les juge sous la lumière que cette vérité projette sur elles.
- Le don de conseil intervient dans les délibérations de la prudence pour les éclairer d’une lumière qui indique la décision à prendre.
- Le don de piété fait rendre à Dieu les devoirs qui lui sont dus comme à un père aimant.
- Le don de force assure la puissance pour triompher des difficultés qui s’opposent à l’accomplissement du bien.
- Le don de crainte crée dans l’âme l’attitude respectueuse et filiale commandée par la transcendance de Dieu et sa qualité de Père.
Parmi ces dons, quatre sont intellectuels la sagesse, l’intelligence, la science et le conseil ; trois volontaires la force, la piété et la crainte de Dieu.
Trois sont contemplatifs la sagesse, l’intelligence et la science ; quatre sont actifs le conseil, la force, la piété et la crainte.
La théologie s’est plu à chercher les relations des dons avec les vertus, avec les béatitudes et les fruits du Saint Esprit. C’est ainsi que la sagesse s’unit à la charité, l’intelligence et la science à la foi, la crainte de Dieu à l’espérance, la piété à la justice, la force à la vertu de force, le conseil à la prudence.
La paix et la béatitude des pacifiques appartiennent à la sagesse. La béatitude des cœurs purs et le fruit de la foi appartiennent au don d’intelligence. La béatitude beati qui lugent est propre au don de science, tandis que la béatitude des miséricordieux suit le don de conseil, et que le don de piété reçoit soit la béatitude des doux (saint Augustin), soit celle des miséricordieux et de ceux qui ont faim (saint Thomas). Au don de force conviennent la patience et la longanimité, et au don de crainte les fruits que sont la modestie, la continence et la chasteté.
Ces distinctions et classifications précises ont permis de faire une analyse et des exposés détaillés de chacun des dons et de leurs propriétés. Ces études satisfont l’esprit avide de clarté et de logique, mais lorsqu’on les rapproche des cas concrets observables, elles donnent l’impression de s’être éloignées de la réalité à mesure qu’elles se sont faites plus précises et plus claires [2].
Voici par exemple le cas de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus dont la vie spirituelle bien connue est conduite dès son jeune âge par les dons du Saint Esprit. Des définitions précises des dons et de leurs propriétés devraient permettre de trouver aisément le don qui prédomine chez elle. Or voici qu’au contraire sur cette question importante et facile à résoudre les opinions sont étonnantes de diversité. « Don de piété » affirment les uns, en considérant l’attitude filiale à l’égard de Dieu. « Don de sagesse » assurent les autres, frappés par son expérience de la miséricorde qui explique toute sa voie d’enfance. « Don de force » déclare sa sœur qui la connaît intimement et l’a suivie en toute sa vie spirituelle.
La distinction, si claire dans le domaine spéculatif, semble impuissante à trancher un problème pratique aux données bien connues. La logique, si lumineuse pour l’esprit, défaille devant la réalité qu’elle pensait avoir étreinte.
Faut-il rejeter cette logique et les distinctions qu’elle nous présente ? Nous ne le pensons pas, car ces distinctions et classifications sont fondées non seulement en raison mais en fait. Toutefois, nous croyons pouvoir montrer, à la lumière de l’enseignement de saint Jean de la Croix, que la distinction des dons, bien que réelle, ne doit pas être affirmée si absolue et si complète qu’on puisse les étudier isolément et séparer nettement leurs effets.
En son commentaire de la troisième strophe de la Vive Flamme, expliquant les communications de Dieu à l’âme transformée, saint Jean de la Croix compare les attributs divins à des lampes ardentes qui produisent sur l’âme des obombrations ou splendeurs qui sont en rapport avec la forme et la propriété des attributs dont elles émanent. D’après ce principe, l’ombre que produit dans l’âme la lampe de la beauté de Dieu sera une autre beauté conforme à la figure et à la propriété de la beauté divine. L’ombre que produit la force sera une autre force en rapport avec celle de Dieu. Ainsi en sera-t-il des obombrations de toutes les lampes ou attributs. C’est une loi générale des communications divines dans l’ordre surnaturel qu’expose le Saint Dieu communique à l’âme une participation réelle à sa nature et à sa vie ; la grâce, inférieure à Dieu parce que créée, nous fait cependant vrais enfants de Dieu ; la participation à la nature divine qu’elle donne est entière bien que créée.
Le Saint a souligné que chaque attribut divin est l’être même de Dieu et contient par conséquent la richesse de tous les autres :
Or toutes ces choses se passent dans ces ombres claires et embrasées produites toutes par ces lampes claires et embrasées, mais si elles resplendissent dans cette âme de toutes les manières dont nous venons de parler, elles ne sont néanmoins qu’une seule chose dans la simplicité et l’unité de Dieu [3].
En d’autres termes, les communications que l’âme reçoit passivement de Dieu revêtent la forme et les propriétés spéciales de l’attribut divin dont elles émanent, mais, puisque cet attribut est l’essence même de Dieu et porte en lui les richesses de tous les autres, la communication que l’âme en reçoit porte aussi eu elle la participation créée à tout l’être de Dieu et à toutes les richesses divines des autres attributs.
En cet exposé, que nous abrégeons à regret pour n’en prendre que ce qui va à notre sujet, saint Jean de la Croix ne nomme pas explicitement les dons du Saint Esprit il est cependant évident que ces communications divines arrivent à l’âme par les dons. La diversité des communications reçues, ou obombrations d’attributs divins différents, fait intervenir des dons distincts. On entrevoit déjà la conclusion que nous allons formuler les obombrations d’attributs différents, qui arrivent à l’âme par des dons distincts, y produisent des saveurs différentes, sont ordonnées à des buts pratiques distincts, mais substantiellement elles sont identiques, car les attributs différents dont elles émanent sont tous la même essence de Dieu. En ses communications directes et personnelles à l’âme sous une forme distincte ou pour un but particulier, comme lumière ou force, saveur ou beauté, Dieu ne se divise pas, et c’est une participation à toute sa richesse qu’il communique par chacun de ses dons.
Pousser la distinction des dons jusqu’à affirmer pour chacun d’eux une action de Dieu essentiellement différente, c’est méconnaître le caractère divin de cette action en la réduisant à une mesure humaine et en y introduisant des distinctions qu’elle ne saurait supporter [4].
Par contre l’identité foncière des communications divines sous des dons différents dont la distinction est suffisamment sauvegardée par la diversité des effets perçus et des buts atteints, explique heureusement et la difficulté de trouver le don qui domine dans une vie spirituelle donnée, et surtout cette unité de la sainteté réalisée par des voies et sous l’action de dons si différents. Ce dernier point mérite d’être souligné. Un exemple le mettra en relief.
Voici saint Jean Bosco et sainte Thérèse qui sont tous deux soumis à l’action de l’Esprit Saint, mais certes par des voies bien différentes. Don Bosco est un actif qui utilise surtout les dons de conseil et de force. Sainte Thérèse est une contemplative qui vit des dons de sagesse et d’intelligence. Si ces dons étaient complètement distincts. Ils devraient produire normalement des formes de sainteté et de vie mystique tout à fait différentes. Or, considérons les deux saints sur les sommets de la vie spirituelle. Voici saint Jean Bosco jouissant de vues prophétiques sur l’avenir et sur le développement de son Institut en des proportions plus grandes que la contemplative sainte Thérèse elle-même. Quant à sainte Thérèse, elle est merveilleusement entendue en toutes les questions matérielles et fonde ses couvents avec une facilité et à la fois une pauvreté de moyens que ne semble pas connaître Don Bosco. Actif et contemplative se sont rejoints en une sainteté qui est une, mais aussi en des dons mystiques qui sont étonnamment semblables. Comment expliquer ces ressemblances si, sous la diversité extérieure des voies et dons qui les ont conduits sur les mêmes sommets, il n’y avait pas une action de Dieu identique en ses effets profonds ? [5]
Notes de l’édition
[1] Isaïe 11, 2-3.
[2] Il nous paraît d’abord qu’au delà des dons du Saint Esprit qui sont ordonnés à recevoir une forme particulière de l’action de Dieu, il y a lieu de distinguer la réceptivité ou passivité de la charité elle-même qui n’est ordonnée à aucun objet précis. c’est grâce à cette capacité réceptive de la charité, qui est elle-même greffée sur l’essence de l’âme comme qualité entitative, que Dieu peut agir dans l’âme elle-même par touches substantielles, autrement dit par touches de la substance de Dieu à la substance de l’âme, touches incomparablement plus fécondes que l’action de Dieu par un don particulier.
[3] Vive flamme d’amour, str. III, p. 984.
[4] On peut objecter d’une façon assez spécieuse, que, de même que les vertus sont ordonnées exclusivement è la production d’un acte spécifiquement distinct, de même les puissances réceptives sont ordonnées è un seul effet è l’exclusion de tout autre, ainsi le sens de l’ouïe as peut percevoir que les sons.
Il faut reconnaître en effet que vertu et don, puissance active et puissance réceptive, sont déterminés è un objet particulier. Mais tandis que l’acte produit par une puissance active donne la mesure de l’activité déployés, une puissance réceptive ne perçoit dans la causalité agissant sur elle que l’effet spécial auquel elle est ordonnés. L’ouïs perçoit la musique d’un orchestre, mais cet orchestre offre aux autres sens (è la vue par exemple) d’autres perceptions. De même lorsqu’un don du Saint Esprit perçoit l’effet particulier d’uns intervention de Dieu, il n’épuise pas la puissance de cette dernière qui peut produire d’autres effets dans l’âme par les autres dons ou par la passivité réceptive de la charité.
Il nous parait que la plupart des erreurs et des confusions dans l’étude des dons du Saint Esprit, viennent de ce que nous mesurons l’action de Dieu à ce que nous en percevons et la puissance réceptive des dons du Saint Esprit, aux perceptions qu’ils enregistrent. Nous oublions que l’action divins, en s’adaptant è nous et è nos besoins ne se réduit pas elle-même à une mesure humaine, mais qu’elle reste transcendante en elle même et dans ses effets.
C’est noirs intelligence qui, par besoin de clarté et de précision réduit tout à la mesure de ce qu’elle peut dominer et comprendre. Ils sont peu nombreux, dit sainte Thérèse, ceux qui ne mesurent pas l’action divine è la mesure de leurs pensées.
[5] Il est d’autres questions concernant les dons, telle par exemple la fréquence des interventions divines par les dons, qui seront traitées en d’autres chapitres.