Dans l’histoire de l’univers, il y a eu deux grandes révolutions, qu’on appelle les deux Testaments. L’une a fait passer les hommes de l’idolâtrie à la Loi ; l’autre, de la Loi à l’Évangile. Un troisième cataclysme est prédit : celui qui nous transportera d’ici-bas là-haut, dans la région où il n’y a plus ni mouvement ni agitation.
Or, ces deux Testaments ont présenté le même caractère. Et lequel ? – C’est de n’avoir point été un bouleversement soudain, transformant tout en un instant.
Et pourquoi cela ? Il faut le savoir. C’est afin que nous ne fussions point violentés, mais persuadés. Car ce qui est violent n’est pas durable, comme on le voit dans les courants qu’on veut endiguer ou dans les plantes dont on veut arrêter la croissance. Au contraire, ce qui est spontané est plus durable et plus sûr. Dans le premier cas, l’impulsion vient d’une contrainte ; dans le second, elle vient de nous. L’un manifeste la bonté divine ; l’autre, une puissance tyrannique.
Dieu n’a donc point voulu que ses bienfaits nous fussent imposés de force, mais qu’ils fussent reçus volontiers. Aussi a-t-il agi comme un pédagogue et comme un médecin, supprimant quelques traditions ancestrales, en tolérant d’autres… Car il n’est pas aisé d’abandonner des usages qui furent longtemps en honneur…
Voici ce que j’entends par là. Le premier Testament a supprimé les idoles, et toléré les sacrifices. Le second a supprimé les sacrifices, mais n’a point défendu la circoncision. Ainsi les hommes ont accepté la suppression imposée, et ont abandonné cela même qui avait été toléré : les uns, les sacrifices ; les autres, la circoncision. De païens, ils sont devenus juifs ; de juifs, ils sont devenus chrétiens, et par ces changements partiels ils se sont trouvés entraînés comme furtivement vers l’Évangile…
À cet exemple, je peux comparer celui de la doctrine sur Dieu, bien que le processus y soit inverse. Là en effet le changement s’opérait par des suppressions ; ici au contraire, c’est un achèvement par une série d’additions. – Voici comment la chose s’est passée.
L’Ancien Testament a clairement manifesté le Père, obscurément le Fils. Le Nouveau Testament a révélé le Fils et a insinué la divinité de l’Esprit. Aujourd’hui l’Esprit vit parmi nous, et il se fait plus clairement connaître.
Car il eût été périlleux, alors que la divinité du Père n’était point reconnue, de prêcher ouvertement le Fils, et, tant que la divinité du Fils n’était point admise, d’imposer, si j’ose dire, comme en surcharge, le Saint-Esprit. On eût pu craindre que, comme des gens chargés de trop d’aliments, ou comme ceux qui fixent sur le soleil des yeux encore débiles, les fidèles ne perdissent cela même qu’ils étaient capables de porter. Il convenait bien plutôt que, par des additions partielles et, comme dit David, par des ascensions de gloire en gloire, la splendeur de la Trinité rayonnât progressivement…
Vous voyez comment la lumière nous vient peu à peu. Vous voyez l’ordre dans lequel Dieu nous est révélé : ordre qu’il nous faut respecter à notre tour, ne dévoilant pas tout sans délais et sans discernement, et ne tenant pourtant rien de caché jusqu’au bout. Car l’un serait imprudent, et l’autre, impie. L’un risquerait de blesser ceux du dehors, et l’autre, d’écarter de nous nos propres frères.
J’ajouterai encore une considération, qui est peut-être venue à l’esprit de plusieurs, mais qui me paraît être un fruit de ma réflexion. Le Sauveur connaissait certaines choses, qu’il estimait que ses disciples ne pouvaient encore porter, bien qu’ils fussent pleins déjà d’une doctrine abondante : c’était peut-être pour les raisons que j’ai dites plus haut. En conséquence, il tenait ces choses cachées. Et il leur répétait que l’Esprit, lors de sa venue, leur enseignerait tout. Je pense donc qu’au nombre de ces choses, était la divinité elle-même du Saint-Esprit : elle devait être déclarée plus clairement dans la suite, lorsque, après le triomphe du Sauveur, la connaissance de sa propre divinité serait affermie.