Paul, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, avec les pères du saint Concile, pour que le souvenir s’en maintienne à jamais.
Introduction
1. La dignité de la personne humaine est, en notre temps, l’objet d’une conscience toujours plus vive [1] ; toujours plus nombreux sont ceux qui revendiquent pour l’homme la possibilité d’agir en vertu de ses propres options et en toute libre responsabilité ; non pas sous la pression d’une contrainte mais guidé par la conscience de son devoir. De même requièrent-ils que soit juridiquement délimité l’exercice de l’autorité des pouvoirs publics afin que le champ d’une franche liberté, qu’il s’agisse des personnes ou des associations, ne soit pas trop étroitement circonscrit. Cette exigence de liberté dans la société humaine regarde principalement ce qui est l’apanage de l’esprit humain et, au premier chef, ce qui concerne le libre exercice de la religion dans la société. Considérant avec diligence ces aspirations dans le but de déclarer à quel point elles sont conformes à la vérité et à ta justice, ce Concile du Vatican scrute la tradition sacrée et la sainte doctrine de l’Église d’où il tire du neuf en constant accord avec le vieux.
C’est pourquoi, tout d’abord, le Concile déclare que Dieu a Lui-même fait connaître au genre humain la voie par laquelle, en Le servant, les hommes peuvent obtenir le salut dans le Christ et parvenir à la béatitude. Cette unique vraie religion, nous croyons qu’elle subsiste dans l’Église catholique et apostolique à qui le Seigneur Jésus a confié le mandat de la faire connaître à tous les hommes, lorsqu’il dit aux apôtres : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit » (Mt. 28, 19-20). Tous les hommes, d’autre part, sont tenus de chercher la vérité, surtout en ce qui concerne Dieu et son Église ; et, quand ils l’ont connue, de l’embrasser et de lui être fidèles.
De même encore, le Concile déclare que ce double devoir concerne la conscience de l’homme et l’oblige, et que la vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même qui pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance. Or, puisque la liberté religieuse que revendique l’homme dans l’accomplissement de son devoir de rendre un culte à Dieu concerne son immunité de toute contrainte dans la société civile, elle ne porte aucun préjudice à la doctrine catholique traditionnelle sur le devoir moral de l’homme et des associations à l’égard de la vraie religion et de l’unique Église du Christ. En outre, traitant de cette liberté religieuse, le Saint Concile entend développer la doctrine des Souverains Pontifes les plus récents sur les droits inviolables de la personne humaine et l’ordre juridique de la société.
I. Doctrine générale sur la liberté religieuse
Objet et fondement de la liberté religieuse
2. Le Concile du Vatican déclare que la personne humaine a droit à la liberté religieuse. Cette liberté consiste en ce que tous les hommes doivent être soustraits à toute contrainte de la part soit des individus, soit des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience, ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres. Il déclare, en outre, que le droit à la liberté religieuse a son fondement dans la dignité même de la personne humaine telle que l’a fait connaître la Parole de Dieu et la raison elle-même [2]. Ce droit de la personne humaine à la liberté religieuse dans l’ordre juridique de la société doit être reconnu de telle manière qu’il constitue un droit civil.
En vertu de leur dignité tous les hommes, parce qu’ils sont des personnes, c’est-à-dire doués de raison et de volonté libre, et par suite, pourvus d’une responsabilité personnelle, sont pressés par leur nature même et tenus par obligation morale à chercher la vérité, celle tout d’abord qui concerne la religion. Ils sont tenus aussi à adhérer à la vérité dès qu’ils la connaissent et à régler toute leur vie selon les exigences de cette vérité. Or, à cette obligation les hommes ne peuvent satisfaire, d’une manière conforme à leur propre nature, que s’ils jouissent, outre la liberté psychologique, de l’immunité à l’égard de toute contrainte extérieure. Ce n’est donc pas dans une disposition subjective de la personne mais dans sa nature même qu’est fondé le droit à la liberté religieuse. C’est pourquoi le droit à cette immunité persiste en ceux-là même qui ne satisfont pas à l’obligation de chercher lavérité et d’y adhérer ; son exercice ne peut être entravé dès lors que demeure sauf un ordre public juste.
Liberté religieuse et relation de l’homme à Dieu
3. Tout ceci est plus clairement manifeste encore à qui prend en considération que la norme suprême de la vie humaine est la loi divine elle-même, éternelle, objective et universelle par laquelle Dieu, dans son dessein de sagesse et d’amour, règle, dirige et gouverne le monde entier et dispose les voies de la communauté humaine. De cette loi qui est sienne, Dieu rend l’homme participant de telle sorte que par une heureuse disposition de la providence divine, celui-ci puisse toujours davantage accéder à l’immuable vérité [3]. C’est pourquoi chacun a le devoir, et par conséquent le droit, de chercher la vérité en matière religieuse afin de se former prudemment, un jugement de conscience droit et vrai, en employant les moyens appropriés.
Mais la vérité doit être cherchée selon la manière propre à la dignité de la personne humaine et à sa nature sociale, à savoir par une libre recherche, avec l’aide du magistère, c’est-à-dire de l’enseignement, de l’échange et du dialogue par lesquels les uns exposent aux autres la vérité qu’ils ont trouvée ou pensent avoir trouvée, afin de s’aider mutuellement dans la quête de la vérité ; la vérité une fois connue, c’est par un assentiment personnel qu’il faut y adhérer fermement. Mais c’est par la médiation de sa conscience que l’homme perçoit les injonctions de la loi divine ; c’est elle qu’il est tenu de suivre fidèlement en toutes ses activités pour parvenir à sa fin qui est Dieu.
Il ne doit donc pas être contraint d’agir contre sa conscience. Mais il ne doit pas être empêché non plus d’agir selon sa conscience, surtout en matière religieuse. De par son caractère même, en effet, l’exercice de la religion consiste avant tout en des actes intérieurs volontaires et libres par lesquels l’homme s’ordonne directement à Dieu : de tels actes ne peuvent être ni imposés, ni interdits par aucun pouvoir purement humain [4]. Mais la nature sociale de l’homme requiert elle-même qu’il exprime extérieurement ces actes internes de religion, qu’en matière religieuse il ait des échanges avec d’autres, qu’il professe sa religion sous une forme communautaire. C’est donc faire injure à la personne humaine et à l’ordre même établi par Dieu pour tes êtres humains que de refuser à l’homme le libre exercice de la religion sur le plan de la société dès lors que l’ordre public juste est sauvegardé. En outre, par nature, les actes religieux par lesquels, en privé ou publiquement, l’homme s’ordonne à Dieu en vertu d’une décision personnelle, transcendent l’ordre terrestre et temporel des choses. Le pouvoir civil, dont la fin propre est de pourvoir au bien commun temporel, doit donc, certes, reconnaître et favoriser la vie religieuse des citoyens, mais il faut dire qu’il dépasse ses limites s’il s’arroge le droit de diriger ou d’empêcher les actes religieux.
Liberté des groupes religieux
4. La liberté ou immunité de toute contrainte en matière religieuse qui revient aux individus doit aussi leur être reconnue lorsqu’ils agissent ensemble. Des groupes religieux, en effet, sont requis par la nature sociale tant de l’homme que de la religion elle-même. Dès lors, donc, que les justes exigences de l’ordre public ne sont pas violées, ces groupes sont en droit de jouir de cette immunité afin de pouvoir se régir selon leurs propres normes, honorer d’un culte public la Divinité suprême, aider leurs membres dans la pratique de leur vie religieuse et les sustenter par un enseignement, promouvoir enfin les institutions au sein desquelles leurs membres coopèrent à orienter leur vie propre selon leurs principes religieux.
Les groupes religieux ont également le droit de ne pas être empêchés, par les moyens législatifs ou par une action administrative du pouvoir civil, de choisir leurs propres ministres, de les former, de les nommer et de les transférer, de communiquer avec les autorités ou communautés religieuses résidant dans d’autres parties du monde, d’édifier des édifices religieux, ainsi que d’acquérir et de gérer les biens dont ils ont besoin.
Aux groupes religieux appartient, de même, le droit de ne pas être empêchés d’enseigner et de manifester leur foi publiquement, de vive voix et par écrit. Mais dans la propagation de la foi et l’introduction des pratiques religieuses on doit toujours s’abstenir de toute forme d’agissements ayant un relent de coercition, de persuasion malhonnête, ou simplement peu loyaux, surtout s’il s’agit des gens sans culture ou sans ressources. Une telle manière d’agir doit être regardée comme un abus de son propre droit et une entorse au droit des autres. La liberté religieuse demande, en outre, que les groupes religieux ne soient pas empêchés de manifester librement l’efficacité singulière de leur doctrine pour organiser la société et vivifier toute l’activité humaine. Dans la nature sociale de l’homme, enfin, ainsi que dans le caractère même de la religion se trouve le fondement du droit qu’ont les hommes, mus par leur sentiment religieux, de tenir librement des réunions ou de constituer des associations éducatives, culturelles, caritatives et sociales.
Liberté religieuse de la famille
5. A chaque famille, en tant que société jouissant d’un droit propre et primordial, appartient le droit d’organiser librement la vie religieuse du foyer sous la direction des parents. A ceux-ci revient le droit de décider, dans la ligne de leur propre conviction religieuse, la formation religieuse à donner à leurs enfants. C’est pourquoi le pouvoir civil doit reconnaître aux parents le droit de choisir en toute réelle liberté, les écoles et autres moyens d’éducation, et cette liberté de choix ne doit pas fournir prétexte à leur imposer, directement ou non, d’injustes charges. En outre les droits des parents se trouvent violés lorsque les enfants sont contraints de fréquenter des cours scolaires ne répondant pas à la conviction religieuse des parents ou quand est imposée une forme d’éducation d’où toute formation religieuse est exclue.
De la responsabilité à l’égard de la liberté religieuse
6. Le bien commun de la société – ensemble des conditions de vie sociale permettant à l’homme de parvenir plus pleinement et plus aisément à sa propre perfection – consistant au premier chef dans la sauvegarde des droits et des devoirs de la personne humaine [5], le soin de veiller au droit à la liberté religieuse incombe à la fois aux citoyens, aux groupes sociaux, aux pouvoirs civils, à l’Église et aux autres communautés religieuses, à chacun selon sa manière et sa mesure propre, en fonction de ses devoirs envers le bien commun.
Protéger et promouvoir les droits inviolables de l’homme est du devoir essentiel de tout pouvoir civil [6]. Celui-ci doit donc, par de justes lois et autres moyens appropriés, assumer efficacement la protection de la liberté religieuse de tous les citoyens et leur fournir les conditions favorables à l’exercice de la religion, en sorte que les citoyens soient à même d’exercer effectivement leurs droits et de remplir leurs devoirs religieux, et que la société elle-même jouisse des biens de la justice et de la paix, découlant de la fidélité des hommes envers Dieu et Sa sainte volonté [7].
Si, en raison des circonstances particulières dans lesquelles se trouvent des peuples, une reconnaissance civile spéciale est accordée dans l’ordre juridique d’une cité à une communauté religieuse donnée, il est nécessaire qu’en même temps le droit à la liberté en matière religieuse soit reconnu et respecté pour tous les citoyens et toutes les communautés religieuses.
Enfin, le pouvoir civil doit veiller à ce que l’égalité juridique des citoyens, qui relève elle-même du bien commun de la société, ne soit jamais lésée, de manière ouverte ou larvée, pour des motifs religieux et qu’entre eux aucune discrimination ne soit faite.
Il s’ensuit qu’il n’est pas permis au pouvoir public, par force, intimidation ou autres moyens, d’imposer aux citoyens la profession ou le rejet de quelque religion que ce soit, ou d’empêcher quelqu’un d’entrer dans une communauté religieuse ou de la quitter. A fortiori est-ce agir contre la volonté de Dieu et les droits sacrés de la personne et de la famille des peuples que d’employer, sous quelque forme que ce soit, la force pour détruire la religion ou lui faire obstacle, soit dans tout le genre humain, soit en quelque région, soit dans un groupe donné.
Limites de la liberté religieuse
7. C’est dans la société humaine que s’exerce le droit à la liberté en matière religieuse, aussi son usage est-il soumis à certaines règles qui le tempèrent. Dans l’usage de toute liberté doit être observé le principe moral de la responsabilité personnelle et sociale : la loi morale oblige tout homme et groupe social dans l’exercice de leurs droits à tenir compte des droits d’autrui, de ses devoirs envers les autres et du bien commun de tous. A l’égard de tous il faut agir avec justice et humanité.
En outre, comme la société civile a le droit de se protéger contre les abus qui pourraient naître sous prétexte de liberté religieuse, c’est surtout au pouvoir civil qu’il revient d’assurer cette protection ; ce qui ne doit pas se faire arbitrairement et à l’injuste faveur d’un parti mais selon des normes juridiques, conformes à l’ordre moral objectif, requises par l’efficace sauvegarde des droits de tous les citoyens et de leur pacifique accord, et par un souci adéquat de cette authentique paix publique qui consiste dans une vie vécue en commun sur la base d’une vraie justice, ainsi que par le maintien, qui se doit, de la moralité publique. Tout cela fait fondamentalement partie du bien commun et entre dans la définition de l’ordre public. Au demeurant, il faut s’en tenir à la coutume de sauvegarder intégralement la liberté dans la société, usage demandant que le maximum de liberté soit reconnu à l’homme, et que celle-ci ne soit restreinte que lorsque c’est nécessaire et dans la mesure qui s’impose.
Formation à l’usage de la liberté
8. De nos jours l’homme est exposé à toutes sortes de pressions et court le danger d’être frustré de son libre jugement personnel. Mais nombreux sont, d’autre part, ceux qui, sous prétexte de liberté, rejettent toute sujétion et font peu de cas de l’obéissance requise.
C’est pourquoi ce Concile du Vatican s’adresse à tous, mais tout particulièrement à ceux qui ont mission d’éduquer les autres, pour les exhorter à s’employer à former des hommes qui, dans la soumission à l’ordre moral, sachent obéir à l’autorité légitime et qui aient à cœur la liberté authentique ; des hommes qui, à la lumière de la vérité, portent sur les choses un jugement personnel, agissent avec le sens de leur responsabilité, et aspirent à tout ce qui est vrai et juste, volontiers portés à collaborer avec d’autres.
C’est donc un des fruits et des buts de la liberté religieuse d’aider les hommes à agir avec une plus grande responsabilité dans l’accomplissement de leurs devoirs au cœur de la vie sociale.
II. La liberté religieuse à la lumière de la Révélation
La doctrine de la liberté religieuse a ses racines dans la Révélation
9. Ce que ce Concile du Vatican déclare sur le droit de l’homme à la liberté religieuse est fondé dans la dignité de la personne dont, au cours des temps, l’expérience a manifesté toujours plus pleinement les exigences. Qui plus est, cette doctrine de la liberté a ses racines dans la révélation divine, ce qui, pour les chrétiens, est un titre de plus à lui être saintement fidèles. Bien que, en effet, la révélation n’affirme pas explicitement le droit à l’immunité de toute contrainte extérieure dans le domaine religieux, elle découvre dans toute son ampleur la dignité de la personne humaine, elle montre en quel respect le Christ a tenu la liberté de l’homme dans l’accomplissement de son devoir de croire à la parole de Dieu, et nous enseigne de quel esprit doivent se pénétrer dans leur action les disciples d’un tel Maître. Tout cela met bien en relief les principes généraux sur lesquels se fonde la doctrine de cette Déclaration sur la liberté religieuse. Et tout d’abord, la .liberté religieuse dans la société est en plein accord avec la liberté de l’acte de foi chrétienne.
Liberté de l’acte de loi
10. C’est un des points principaux de la doctrine catholique, contenu dans la parole de Dieu et constamment enseigné par les Pères [8], que la réponse de foi donnée par l’homme à Dieu doit être volontaire ; en conséquence, personne ne doit être contraint à embrasser la foi malgré soi [9]. Par sa nature même, en effet, l’acte de foi a un caractère volontaire puisque l’homme, racheté par le Christ Sauveur et appelé [10] par Jésus-Christ à l’adoption filiale, ne peut adhérer à Dieu qui se révèle, que si, attiré par le Père [11], il fait à Dieu l’hommage raisonnable et libre de sa foi. Il est donc pleinement conforme au caractère propre de la foi qu’en matière religieuse soit exclue toute espèce de contrainte de la part des hommes. Partant, un régime de liberté religieuse contribue, de façon notable, à favoriser un état de choses dans lequel l’homme peut être sans entrave invité à la foi chrétienne, l’embrasser de son plein gré et la confesser avec ferveur par toute sa vie.
Manière d’agir du Christ et des Apôtres
11. Dieu, certes, appelle l’homme à Le servir en esprit et en vérité ; si cet appel oblige l’homme en conscience, il ne le contraint pas. Dieu, en effet, tient compte de la dignité de la personne humaine qu’Il a lui-même créée et qui doit se conduire selon son propre jugement et user de la liberté. Cela est apparu au plus haut point dans le Christ Jésus, en qui Dieu s’est manifesté lui-même pleinement et a fait connaître ses voies. Le Christ, en effet, notre Maître et Seigneur [12], doux et humble de cœur [13], a dans la patience, attiré et invité les disciples [14]. Certes, il a appuyé sa prédication et il l’a confirmée par des miracles, mais c’était pour susciter et fortifier la foi de ses auditeurs, non pour exercer sur eux une contrainte [15]. Il est vrai encore qu’il a reproché leur incrédulité à ceux qui l’entendaient, mais c’est en réservant à Dieu le châtiment au jour du Jugement [16]. Envoyant au monde ses Apôtres, il leur dit : « Celui qui aura cru et aura été baptisé sera sauvé ; mais celui qui n’aura pas cru sera condamné » (Mc 16, 16) [17]. Mais, reconnaissant que de l’ivraie avait été semée avec le froment, il ordonna lui-même de les laisser croître l’une et l’autre jusqu’à la moisson, qui aura lieu à la fin des temps la. Ne se voulant pas Messie politique dominant par la force [18], il préféra se dire Fils de l’Homme, venu » pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude (Mc 10, 45). Il se montra le parfait Serviteur de Dieu [19], qui « ne brise pas le roseau froissé et n’éteint pas la mèche fumante » (Mt 12, 20). Il reconnut le pouvoir civil et ses droits, ordonnant de payer le tribut à César, mais en rappelant que les droits supérieurs de Dieu doivent être respectés : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22, 21). Enfin, en achevant sur la croix l’œuvre de la rédemption qui devait valoir aux hommes le salut et la vraie liberté, il a parachevé sa révélation car, s’il a rendu témoignage à la vérité [20], il n’a pas voulu l’imposer par la force à ses contradicteurs. Son Royaume, en effet, ce n’est pas en frappant qu’il se défend [21], mais c’est par le témoignage rendu et l’oreille prêtée à la vérité qu’il s’affermit ; et s’il s’étend, c’est grâce à l’amour par lequel le Christ, élevé sur la croix, attire à Soi tous les hommes [22].
Instruits par la parole et l’exemple du Christ, les Apôtres suivirent la même voie. Aux origines de l’Église, ce n’est pas par la contrainte ni par des habiletés indignes de l’Évangile que les disciples du Christ s’employèrent à amener les hommes à confesser le Christ comme Seigneur, mais avant tout par la puissance de la parole de Dieu [23]. Avec courage, ils annonçaient à tous le dessein de Dieu Sauveur » qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité (I Tim., 2, 4) ; mais en même temps, vis-à-vis des faibles, même vivant dans l’erreur, leur attitude était faite de respect, manifestant ainsi comment « chacun d’entre nous rendra compte à Dieu pour soi-même » (Rm 14, 12) [24], et, pour autant, est tenu d’obéir à sa propre conscience. Comme le Christ, les Apôtres s’appliquèrent toujours à rendre témoignage à la vérité de Dieu, pleins d’audace devant le peuple et ses chefs pour « annoncer la parole de Dieu avec assurance » (Ac 4, 31) [25]. Car ils tenaient d’une foi solide que l’Évangile lui-même est véritablement une force de Dieu pour le salut de tous ceux qui croient [26]. Rejetant donc toutes les « armes charnelles » [27], suivant l’exemple de douceur et de modestie donné par le Christ, ils prêcheront la parole de Dieu avec la pleine assurance qu’elle était une force divine capable de détruire les puissances opposées à Dieu [28] et d’amener les hommes à donner au Christ leur foi et leur obéissance [29]. Comme le Maître, les Apôtres reconnurent, eux aussi, l’autorité civile légitime : « Il n’y a point, en effet, d’autorité qui ne vienne de Dieu », enseigne l’Apôtre qui tire de là cet ordre : « Que chacun se soumette aux autorités en charge… Celui qui résiste à l’autorité se rebelle contre l’ordre établi par Dieu » (Rm 13, 1-2) [30]. Mais en même temps ils ne craignirent pas de s’opposer au pouvoir public qui s’opposait lui-même à la sainte volonté de Dieu : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Ac 5, 29) [31]. Cette voie, d’innombrables martyrs et fidèles l’ont suivie en tous temps et en tous lieux.
L’Église marche sur les pas du Christ et des Apôtres
12. L’Église, donc, fidèle à la vérité de l’Évangile, suit la voie qu’ont suivie le Christ et les Apôtres lorsqu’elle reconnaît le principe de la liberté religieuse comme conforme à la dignité de l’homme et à la révélation divine, et qu’elle encourage une telle liberté. Cette doctrine, reçue du Christ et des Apôtres, elle l’a, au cours des temps, gardée et transmise. Bien qu’il y ait eu parfois dans la vie du Peuple de Dieu, cheminant à travers les vicissitudes de l’histoire humaine, des manières d’agir moins conformes, voire même contraires, à l’esprit évangélique, l’Église a, cependant, toujours enseigné que personne ne peut être amené par contrainte à la foi.
Ainsi le ferment évangélique a-t-il longtemps travaillé dans l’esprit des hommes et beaucoup contribué à faire reconnaître plus largement, au cours des temps, la dignité de la personne humaine, et mûrir la conviction qu’en matière religieuse, cette personne doit, dans la cité, être sauve de quelque contrainte humaine que ce soit.
Liberté de l’Église
13. Parmi les choses qui concernent le bien de l’Église, voire le bien de la cité terrestre elle-même, et qui, partout et toujours, doivent être sauvegardées et défendues contre toute violation, la plus importante est, à coup sûr, que l’Église jouisse dans son action d’autant de liberté qu’en requiert la charge qu’elle a du salut des hommes [32]. Elle est, en effet, sacrée cette liberté dont le Fils unique de Dieu a doté l’Église qu’il a acquise de son sang. Elle est si propre à l’Église que ceux qui la combattent agissent contre la volonté de Dieu. La liberté de l’Église est un principe fondamental dans les relations de l’Église avec les pouvoirs civils et tout l’ordre civil.
Dans la société humaine et devant tout pouvoir public l’Église revendique la liberté au titre d’autorité spirituelle, instituée par le Christ Seigneur, et chargée par mandat divin d’aller par le monde entier prêcher l’Évangile à toute créature [33]. L’Église revendique également la liberté en tant qu’association d’hommes ayant le droit de vivre, dans la société civile, selon les préceptes de la foi chrétienne [34].
Dès lors, là où existe un régime de liberté religieuse, non seulement proclamée en parole ou seulement sanctionnée par des lois, mais mise effectivement et sincèrement en pratique, là se trouvent enfin fermement assurées à l’Église les conditions, de droit et de fait, de l’indépendance nécessaire à l’accomplissement de sa divine mission, indépendance que les autorités ecclésiastiques ont revendiquée dans la société avec de plus en plus d’insistance [35]. En même temps, les fidèles du Christ, comme les autres hommes, jouissent, au civil, du droit de ne pas être empêchés de mener leur vie selon leur conscience. Il y a donc bon accord entre la liberté de l’Église et cette liberté religieuse qui pour tous les hommes et toutes les communautés, doit être reconnue comme un droit et sanctionnée dans l’ordre juridique.
Fonction de l’Église
14. Pour obéir au précepte divin : « Enseignez toutes les nations » (Mt 28, 19), l’Église catholique doit s’employer, sans mesurer sa peine, à ce « que la parole de Dieu accomplisse sa course et soit glorifiée » (2 Th 3, 1).
L’Église demande donc de ses fils « qu’avant tout se fassent des demandes, des prières, des supplications, des actions de grâces pour tous les hommes… Voilà ce qui est bon et ce qui plaît à Dieu, notre Sauveur, lui qui veut que tous les hommes soient saurés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1 Tm 2, 1-4).
Mais les fidèles du Christ, pour se former la conscience, doivent prendre en sérieuse considération la doctrine, sainte et certaine, de l’Église [36]. De par la volonté du Christ, en effet, l’Église catholique est maîtresse de vérité ; sa fonction est d’exprimer et d’enseigner authentiquement la Vérité qui est le Christ, en même temps que de déclarer et de confirmer, en vertu de son autorité, les principes de l’Ordre moral découlant de la nature même de l’homme. Qu’en outre les chrétiens se comportent avec sagesse à l’endroit de ceux du dehors, s’efforcent « dans l’Esprit Saint, avec une charité sans feinte, dans la parole de vérité » (2 Co 6, 6-7) de répandre la lumière de vie en toute assurance [37] et courage apostolique, jusqu’à l’effusion de leur sang.
Car le disciple est tenu, envers le Christ Maître, au devoir de connaître toujours plus pleinement la vérité qu’il a reçue de Lui, de l’annoncer fidèlement et de la défendre énergiquement, en s’interdisant tout moyen contraire à l’esprit de l’Évangile. Mais la charité du Christ le presse aussi d’agir avec amour, prudence, patience, envers ceux qui se trouvent dans l’erreur ou dans l’ignorance par rapport à la foi [38]. Il faut donc prendre en considération, à la fois, les devoirs envers le Christ, Verbe vivifiant, qui doit être annoncé, les droits de la personne humaine et la mesure de Grâce que Dieu. par le Christ, a départie à l’homme invité à accueillir et à professer la foi de son plein gré.
Conclusion
15. Il est manifeste que l’homme souhaite, aujourd’hui, pouvoir librement professer la religion, en privé et en public ; bien plus, que la liberté religieuse est maintenant proclamée dans la plupart des Constitutions comme un droit civil et qu’elle est solennellement reconnue par des documents internationaux [39].
Mais il ne manque pas de régime où, bien que la liberté de culte religieux soit reconnue dans la Constitution, les pouvoirs publics eux-mêmes s’efforcent de détourner les citoyens de professer la religion et de rendre la vie des communautés religieuses difficile et précaire.
Saluant avec joie les signes favorables qu’offre notre temps, mais dénonçant avec tristesse ces faits déplorables, le Saint Concile exhorte les Catholiques, mais prie aussi instamment tous les hommes, leur demandant d’examiner avec le plus grand soin à quel point la liberté religieuse est nécessaire, surtout dans la condition présente de la famille humaine.
Il est, en effet, manifeste que les peuples sont aujourd’hui portés à s’unir toujours davantage ; que des relations plus étroites s’établissent entre populations de culture et de religion différentes ; que s’accroît la conscience prise par chacun de sa responsabilité personnelle. Pour que s’instaurent donc et s’affermissent, dans le genre humain, des relations pacifiques et la concorde, il s’impose qu’en tous lieux, la liberté religieuse soit sanctionnée par une garantie juridique efficace et que soient respectés le devoir et le droit suprêmes de l’homme de mener librement dans la société, la vie religieuse.
Fasse Dieu, Père de tous les hommes, que la famille humaine, à la faveur d’un régime assuré de liberté religieuse, par la grâce du Christ et la puissance de l’Esprit-Saint, parvienne à la sublime et éternelle « liberté de la gloire des fils de Dieu » (Rm 8, 21).
Tout l’ensemble et chacun des points qui sont édictés dans cette Déclaration ont plu aux Pères du saint Concile. Et Nous, en vertu du pouvoir apostolique que le Christ Nous a confié, avec les vénérables Pères, Nous les approuvons, décrétons et arrêtons dans le Saint-Esprit, et Nous ordonnons que, pour la gloire de Dieu, ce qui a été ainsi établi en Concile soit promulgué.
Rome, près Saint-Pierre, le 7 décembre 1965.
Moi, Paul, Évêque de l’Église catholique.
(Suivent les signatures des Pères)
[1] Cf. Jean XXIII, encycl. Pacem in terris, 11 avril 1963 : AAS 55 (1963), P. 279 ; ibid., p. 265 ; Pie XII, message radiophonique, 24 déc. 1944 : AAS 37 (1945), p- 14.
[2] Cf. Jean XXIII, encycl. Pacem in terris, 11 avril 1963 : AAS 55 (1963), pp. 260-261 ; Pie XII, message radiophonique, 24 déc. 1942 : AAS 35 (1943). p. 19 ; Pie XI, encycL Mit brennender Sorge, 14 mars 1937 : AAS 29 (1937), p. 160 ; Léon XIII, encycl. Libertas praestantissimum, 20 juin 1888 : Actes de Léon XIII, 8 (1888), pp. 237-238.
[3] Cf. S. Thomas d’Aquin, Summa theologica, I- III, q. 91, a. 1 ; q. 93, a. 1-2.
[4] Cf. Jean XXIII, encycl. Pacem in terris, 11 avril 1963 : AAS 55 (1963), p. 270 ; Paul VI, message radiophonique, 22 déc. 1964 : AAS 57 (1965), pp. 181-182 ; S. Thomas d’Aquin, Summa theologica, l-Il, q. 91. a. 4 c.
[5] Cf. Jean XXIII, encycl. Mater et Magistra, 15 mai 1961 : AAS 53 (1961), p. 417 ; idem, encycl. Pacem in terris, 11 avril 1963 : AAS 55 (1963), p. 273.
[6] Cf. Jean XXIII, encycl. Pacem in terris, 11 avril 1963 : AAS 55 (1963), pp. 273-274 ; Pie XII, message radiophonique, ler juin 1941 : AAS 33 (1941), p. 200.
[7] Cf. Léon XIII, encycl. Immortale Dei, ler nov. 1885 : AAS 18 (1885), p. 161.
[8] Cf. Lactance, Divinarurn Institutionurn, Lib. V, 19 : CSEL 19, pp. 463-464, 465 : PL 6, 614 et 616 (cap. 20) ; S. Ambroise, Epistola ad Valentianum Imp., Ep. 21 : PL 16, 1005 ; S. Augustin, Contra litteras Petiliani, Lib. II, cap. 83 : CSEL 52, p. 112 ; PL 43, 315 ; cf. C. 23, q. 5, c. 33 (ed. Friedberg, col. 939) ; ID., Ep. 23 : PL 33, 98 ; ID., Ep. 34 : PL 33, 132 ; ID., Ep. 35 : PL 33, 135 ; S. Grégoire le Grand, Epistola ad Virgilium et Theodorum Episcopos Massiliae Galliarum, Registrum Epistolarum, I, 45 : MGH Ep. 1, p. 72 ; PL 77, 510-511 (lib. I, ep. 47) ; ID., Epistola ad Iohannem Episcopum Constantinopolitanum, Registrum Epistolarurn, III, 52 : MGH Ep. 1, p. 210 ; PL 77, 649 (lib. III, ep. 53) ; cf. D. 45, C. 1 (ed. Friedberg, col. 160) ; Conc. Tolet. IV, c. 57 : Mansi 10, 633 ; cf. D. 45, c. 5 (ed. Friedberg, col. 161-162) ; Clement III : X., V, 6, 9 : (ed. Friedberg, col. 774) ; Innocent III, Epistola ad Arelatensem Archiepiscopum, X., III, 42, 3 : (ed. Friedberg, col. 646).
[9] Cf. CIC, c. 1351 ; Pie XII, Allocutio ad Praelatos auditores caeterosque officiales et administros Tribunalis S. Romanæ Rotæ, 6 oct. 1946, AAS 38 (1946), p. 394 ; ID.. encycl. Mystici Corporis, 29 juin 1943, AAS (1943), p. 243.
[10] Cf. Ep 1, 5.
[11] Cf. Jn 6, 44 : « Nul ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour ».
[12] Cf. Jn 13, 13 : « Vous m’appelez Maître et Seigneur, et vous dites bien, car je le suis ».
[13] Cf. Mt 11, 29 : « Chargez‐vous de mon joug et mettez‐vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez soulagement pour vos âmes ».
[14] Cf. Mt 11, 28-30 : « »Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai » ; Jn 6, 67-68 : « Jésus dit alors aux Douze : ‘Voulez‐vous partir, vous aussi ?’ Simon‐Pierre lui répondit : ‘Seigneur, à qui irons‐nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle’. »
[15] Cf. Mt 9, 28-29 ; Mc 9, 23-24 ; 6, 5-6 ; Paul VI, encycl. Ecclesiam suam, 6 août 1964 : AAS 56 (1964), pp. 642-643.
[16] Cf. Mt 11.20-24 : Rm 12, 19-20 ; 2 Th 1, 8.
[17] Cf. Mt 13, 30 et 40-42.
[18] Cf. Mt 4, 8-10 ; Jn 6, 15.
[19] Cf. Is 42, 1-4.
[20] Cf. Jn 18, 37.
[21] Cf. Mt 26, 51-53 ; Jn 18, 36.
[22] Cf. Jn 12, 32.
[23] Cf. 1 Co 2, 3-5 ; 1 Th 2, 3.5.
[24] Cf. Rm 14, 1-23 ; 1 Co 8, 9-13 ; 10, 23-33.
[25] Cf. Ep 6, 19-20.
[26] Cf. Rm 1, 16.
[27] Cf. 2 Co 10, 4 ; 1 Th 5, 8-9.
[28] Cf. Ep 6, 11-17.
[29] Cf. 2 Co 10, 3-5.29.
[30] Cf. 1 P 2, 13-17.
[31] Cf. Ac 4, 19-20.
[32] Cf. Léon XIII, lettre Officio sanctissimo, 22 déc. 1887 : ASS 20 (1887), p. 269 ; ID., lettre Ex litteris, 7 arr. 1887 : ASS 19 (1886-1887), p. 465.
[33] Cf. Mc 16, 15 ; Mt 28, 18-20 ; Pie XII. encycl. Summi Pontificatus, 20 oct. 1939, AAS 31 (1939), pp. 445-446.
[34] Cf. Pie XI, lettre Firmissimam constantiam, 28 mars 1937 : AAS 29 (1937), p. 196.
[35] Cf. Pie XII, Alloc. Ci riesce, 6 déc. 1953 : AAS 45 (1953), p. 802.
[36] Cf. Pie Xll, message radiophonique, 23 mars 1952 : AAS 44 (1952), pp. 270-278.
[37] Cf. Ac 4, 29.
[38] Cf. Jean XXIII, encycl. Pacem in terris, 11 avril 1963 : AAS 55 (1963), pp. 299-300.
[39] Cf. Jean XXIII, encycl. Pacem in terris, 11 avril 1963 : AAS 55 (1963), pp. 295-296.